3/ PREFACE

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Préface de Jean DUJARDIN

Né en 1936, Jean Dujardin est devenu Oratorien après des études de philosophie, de théologie et d’histoire. Il a été Supérieur général de l’Oratoire de France de 1984 à 1999. Secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme de 1987 à 1999, il est aujourd’hui expert auprès de ce comité. Il est l’auteur de nombreux écrits consacrés au judaïsme sous formes d’articles ou de participation à des ouvrages collectifs.


PREFACE :

« PEUT-ON RACONTER l’innommable dans un récit romancé ? Peut-on même se le représenter à travers des images ? Question délicate à laquelle dans un premier temps on est tenté de répondre non, car d’une certaine manière, l’événement est tel que seuls ceux qui l’ont subi peuvent en parler. Et encore ceux qui sont morts, qui l’ont donc subi jusqu’à l’extrême, ne sont plus là pour le faire. Dès lors ne faut-il pas l’admettre : les survivants et eux seuls ont le droit de parler. Et cependant, nous le découvrons à travers leurs récits, ils le font avec une extrême pudeur, tant les mots demeurent impuissants pour exprimer ce qu’ils ont vécu. Ils se sont d’ailleurs heurtés et se heurtent encore à l’attention trop superficielle des lecteurs et des auditeurs peu préparés à recevoir un tel témoignage. S’ils le font, nous le savons, c’est dans le sentiment qu’ils portent une extrême responsabilité : celle de transmettre un quelque chose de ce qu’ils ont vécu, un quelque chose qui éveille les consciences, qui appelle les hommes d’aujourd’hui et de demain à demeurer des veilleurs… Douloureuse et difficile transmission de la mémoire, essentielle pourtant car elle est la racine de notre conscience morale.
 
Qu’un chrétien, qu’un prêtre ose se lancer dans cette aventure, s’efforce d’exprimer les sentiments des victimes, et même ceux des bourreaux est-ce acceptable ? Est-ce supportable ? Comment celui qui n’a rien vécu de tout cela peut-il en parler d’une manière vraie ? On le suspectera et la suspicion est légitime dans certains passages de projeter sa sensibilité, ses réflexions d’homme d’aujourd’hui sur les victimes d’hier. On le suspectera même de lire cet événement et d’exprimer les réactions des acteurs qu’il met en scène dans une perspective chrétienne et comment pourrait-il en être autrement même s’il s’en défend. Peut-être eut-il été alors préférable qu’il renonce à son projet.
 
Et pourtant il y a là une tâche nécessaire dans laquelle la fiction romanesque peut jouer son rôle. C’est Emmanuel Levinas qui écrit à propos de l’admirable petit livre de Zvi Kolitz « Yossel Rakover s’adresse à Dieu » : « Nous venons de lire un texte beau et vrai, vrai comme seule la fiction peut l’être ».

Ai-je le droit d’appliquer une telle réflexion au roman de Jean Marie Martin ? Probablement pas et il ne souhaite sûrement pas que je le fasse. Mais le connaissant bien depuis longtemps je peux attester qu’il ne s’est pas engagé dans ce projet sans hésitation, sans interrogation douloureuse. Il l’a fait, poussé par une force intérieure de plus en plus exigeante. Je me dois de dire au lecteur, qu’il y a plusieurs années, il ne voulait pas même se rendre à Auschwitz… Étant à l’époque son supérieur religieux, je lui en fis presque un devoir. Et ce fut pour lui un choc. Il en revint avec l’obligation impérative de ne plus détourner son regard de ces lieux et de ce temps, d’en transmettre la mémoire auprès des jeunes qu’il rencontrait dans son ministère. Ainsi pendant plusieurs années, il a séjourné au Centre International d’Auschwitz pour y accueillir et guider ceux qui s’y rendaient, faire en sorte que leur passage ne se réduise pas à une simple visite. Il a marché et médité longuement dans ces lieux. Il y a accompagné des jeunes à plusieurs reprises.

Comment l’idée d’un roman lui est-elle venue ? Je n’en sais rien et je n’ai pas osé le lui demander, mais je peux le pressentir : l’obligation, comme chrétien, comme prêtre même, dans une forme d’acte de repentance d’être proche de ceux qui ressentent l’obligation de transmettre cette mémoire. À l’expérience, nous découvrons combien il est difficile quand on revient d’un tel lieu de dire ce que l’on a éprouvé. Auschwitz demeure une réalité qui laisse sans voix. Est-ce pour cela que Jean Marie Martin a choisi le genre romanesque, est-ce pour cela qu’il lui a donné une tournure « policière » ? Là encore je ne sais, mais j’ai constaté moi-même que devant la lassitude ou le découragement qui risquent de s’emparer du lecteur devant le récit insupportable de ce qui s’est passé là, l’énigme « policière » l’oblige à se tenir en éveil jusqu’au bout. Ce faisant le livre n’occulte aucune question et le lecteur ne pourra pas les oublier au-delà de la fiction romanesque.
 
On garde évidemment le droit de demeurer réservé sur le choix d’un tel genre littéraire pour parler d’un tel événement. Mais on ne peut pas douter de la profonde intention de l’auteur. Puisse le lecteur l’y reconnaître et faire en sorte que le récit de cet innommable qui a broyé les hommes dans leur humanité le conduise à une réflexion permanente sur ce combat incessant entre le mal et le bien qui habitent le cœur de l’homme. Que le lecteur ose regarder tout cela en face, s’en imprégner et contribuer à son tour par cette transmission de la mémoire dont Jean-Marie Martin s’est découvert profondément responsable à ce que les hommes ne s’y dérobent pas, notamment les plus jeunes. » 

Jean DUJARDIN, prêtre de l’Oratoire 



Ouvrage : L’Eglise catholique et le peuple juif 

Sciences Humaines et Essais – 2003 – Calmann-Lévy 

Publié dans : ||le 31 mars, 2007 |Commentaires fermés

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